#1 Face à face, San Diego

Dans “Mise au point”, je reviens sur les coulisses d’une de mes photos. Cette semaine, direction El Cajon, à San Diego, pour l’un de mes premiers reportages aux Etats-Unis. La communauté afro-américaine exprime alors sa rage dans la rue après 3 bavures policières en moins de 4 semaines.

San Diego, le 29 septembre 2017. 

Cela fait à peine deux mois que je suis arrivé en Californie et pour autant l’actualité s’enchaîne déjà. Depuis quelque temps, le mouvement Black Lives Matter prend de l’ampleur. Je suis les évènements sur Twitter. La communauté afro-americiaine gronde et ne cesse d’exprimer sa rage. Trois americains de couleur ont été abattus par les forces de l’ordre, et cela sur le seul le mois de septembre. Dernier en date : Alfred Okwera Olango, tué deux jours plus tôt sur un parking de El Cajon, un quartier à l’est de San Diego alors qu’il sortait de sa voiture la main dans la poche.

J’habite sur le campus de San Diego State Univerisity, ma fac, où je me rends en cours chaque semaine. Mon appartement se trouve à quelques kilomètres du quartier de El Cajon, là où Alfred Okwera a été abbatu. Ce soir là, l’atmosphère est différente. Les rues normalement calmes après 21h ne désemplissent pas, des hélicoptères font des allers retours dans le ciel, dessinant des halos lumineux sur les nuages avec leurs projecteurs. Je regarde Twitter. Quelques dizaines de manifestants commencent à envahir les rues, à côté du parking où à eu lieu la fusillade. Je comprends rapidement la situation. Poussée par le mouvement Black Lives Matter, la communauté afro américaine de San Diego, accompagnée de quelques autres activistes, s’est donnée rendez-vous dans la rue pour exprimer sa colère face aux policiers. 

Je fonce dans ma chambre prendre mon matériel photo. En me voyant m’activer, Dalton, mon colocataire, me demande ce qui m’arrive. Je lui explique la situation et où je me rends. “ Vraiment ? C’est pour ça tout ces hélicos et ces voitures de police ?”. Il n’a jamais rien vu de tel. “Je t’accompagne”, me dit-il finalement. Je lui souris. Il est toujours plus rassurant de ce rendre sur ce genre d’évènements à deux, surtout dans un pays où l’on vient de mettre les pieds. 

Un barrage de police nous barre la route à l’entrée de El Cajon. « Descends, va faire tes photos, je vais trouver une place », me lance Dalton. Je me fraie un passage entre les policiers, et arrive enfin sur place.

Ce que je découvre est bien différent de ce que j’ai pu connaître lors de manifestations en France. Les policiers américains sont armés jusqu’aux dents, avec des armes à balles réelles et des armures tout droit sorties d’un film de Robocop. Ils n’ont pas de boucliers, juste une grande matraque en bois. Les différentes garnisons sont disposées en cercle, entourant les manifestants. À l’arrière, d’autres policiers montent la garde, avec des fusils snipers et bergers allemands. Le message est clair : ils sont prêts à toutes éventualités.

Des membres de la famille d’Alfred Okwera Olango leur font face. Sa sœur pleure, crie, demande des explications. La tension est palpable. Ces bavures policières sont aux Etats-Unis un réel tabou, surtout quand elles touchent la communauté afro américaine, déjà en grande partie mise sur le côté par la société. Nous sommes une dizaine de photographes. Je les salue de la tête, ils me répondent. Nous nous échangeons quelques infos, quelques conseils. Mon anglais est correct, pour autant ils détectent rapidement mon accent. Ils se demandent ce qu’un photographe français est venu faire dans ce quartier un soir pareil. « Tu as quitté Paris pour ça ? J’y crois pas ! », plaisante l’un deux. Nous rigolons tous à sa blague. 

Je reste discret, me déplace lentement jusqu’à gagner la tête du cortège, où les deux camps se font face. Arrive alors un groupe d’une quinzaine d’hommes, dissimulant leurs visages sous des bandanas. Ces derniers viennent coller leur visage à ceux des policiers, multipliant les insultes et provocations. Je suis au premier rang, accroupi, je déclenche ( photo ). Le temps semble se figer. Les policiers ne peuvent lancer la charge sans agression. Ils restent impassibles aux insultes. 

Soudain, des pierres et des bouteilles volent depuis l’arrière du cortège, s’écrasant sur les casques de policiers. Je comprends que c’est le tournant de la soirée. Je me trouve pile poil entre les deux camps. Autant dire au mauvais endroit. J’ai à peine le temps de protéger mon objectif que les premiers policiers lancent la charge. Ils plaquent au sol et embarquent certains des provocateurs. Je tente quelques photos, pour autant les matraques frôlent l’objectif. Je renonce finalement, je n’ai pas les moyens de m’en repayer un nouveau.

La charge passée, les manifestants reprennent position, pacifiquement, en organisant un sit-in. Les policiers commencent à disperser la foule, qui comprend qu’il est impossible de lutter face à la cinquantaine de policiers. De mon côté, je fais encore quelques clichés, puis récupère quelques témoignages. Je finis par rentrer en contact avec certains leadeurs. Rendez-vous est fixé la semaine suivante, pour un nouveau rassemblement.

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