#2 Et pour quelques miles de plus…

Ce mois-ci, dans “Mise au point”, je raconte les coulisses de mon reportage “Durs et cuirs”, où j’ai passé trois mois à écumer les routes Californiennes en moto avec les San Diego Cruisers, derniers bikers gays de la ville. 

San Diego, le 22 février 2017

“T’as déjà roulé en Harley toute une journée ?”, “Et toi, du coup, t’es gay ou hétéro ?”, “Pourquoi écrire sur nous en particulier, hein ?”. Les questions fusent, je tente d’y répondre du mieux que je peux. Nous sommes le 22 février 2017, dans un Starbucks coffee de San Diego. À l’entrée trône une douzaine de Harley Davidson étincelantes. Ce sont celles des San Diego Cruisers, le dernier club de motard gays de San Diego. J’ai décidé de venir à leur rencontre ce soir là, lors d’une de leur assemblée mensuelle.

 Il faut dire que j’ai vite été repéré. Eux, veste en cuir, bottes mexicaines aux pieds et casques sur les genoux, Moi, veste en jean, pantalon fuseau noir et clarks en daim aux pieds, carnet de notes et stylo bic à la main. Je leur présente mon projet : les suivre dans leur quotidien sur plusieurs mois. 

D’abord étonné, le leader, Stephen, donne rapidement son accord. “Ok, tant que tu n’écris pas n’importe quoi sur nous. On te fait confiance.”. Le reste du groupe semble approuver. “Dimanche, on a un ride pour Los Angeles. Départ 8h, tu peux venir si ça te tente. T’es déjà monté à moto ?”. La question m’étonne. Oui, évidemment, j’ai quelques expériences en 125cc en tant que passager. Je réponds : “Bien sur. A dimanche alors !”. Je ne comprendrai que plus tard l’importance de la question. 

Premier contact

Dimanche matin. Le soleil me réveille aux aurores. J’ai mal dormi, sûrement un peu trop d’alcool ( la vie nocturne sur le campus universitaire ne s’arrête jamais). Je prépare mon matériel, saute dans un Uber et rejoins les Cruisers. Tous sont déjà là. Certains peaufinent les derniers réglages sur leurs motos, tandis que d’autres jettent un coup d’œil à la carte pour ajuster l’itinéraire. Je serre quelques mains, échange quelques sourires. Stephen s’approche de moi. “Ca va nous prendre deux heures pour rejoindre LA. Trooper Bear est ok pour que tu montes avec lui. C’est lui, à gauche”.
Je tourne la tête. Assis sur une Harley Davidson Dina Glide, un gros barbu aux allures de père Noël me salue de la main. La moto est très basse, le siège arrière étroit, sans compter qu’avec sa corpulence, Trooper Bear prend bien plus qu’une place.. Je réfléchis. Vais-je avoir assez de place ? Comment savoir si ce “Trooper Bear” n’est pas un fou zigzaguant entre les voitures à 170 km/h ? Pour autant, je n’ai pas vraiment le choix. Je prends mon casque et m’installe à l’arrière.
 

Le moteur se met à gronder. La Harley démarre suivie des autres bikers, dans un vacarme assourdissant. Je jette un coup d’œil à l’arrière. En file indienne, phares allumés, les 14 harleys forment un long cortège, sous le regard des passants ébahis. La scène, tout droit sortie d’un épisode de Sons of Anarchy, me donne des frissons. 

Je vais ainsi suivre les Cruisers pendant 3 mois. De simples inconnus, ils deviendront des amis. Je reçois le surnom de “Frenchie”, à cause de mon accent et de mes goûts culinaires (à la bière et hot dog, je préfère le vin et le fromage lors de leurs barbecues ). Je découvre un groupe soudé, composé d’hommes et de femmes fatigués de devoir cacher leur homosexualité et leur passion pour la moto. Il faut dire qu’en Californie l’image du motard se résume bien souvent aux Hell’s Angels ou Mongols, des gangs violents au passé sulfureux et aux membres hétéros. « Nous ne sommes pas violents. Simplement, lorsque nous sommes tous ensemble, rares sont ceux qui nous insultent longtemps », m’expliquent-ils. 

Californiacation

Petit à petit, ce reportage me prend tout mon temps libre. Aux pool partys et soirées sur le campus où je réside, je préfère les virées à moto dans le désert Californien avec les Cruisers. Pour autant, je ne veux pas être un « poids » pour le groupe. Je cherche les meilleurs moyens de les photographier sur la route. Hors de question de me poser sur le bord et de leur demander de passer en boucle. Je monte alors sur la moto de Clark (sur la Harley de Trooper bear, trop petite, je glissais à l’arrière et manquais d’atterrir sur l’asphalte à chaque virage serré). 

Clark roule à l’avant du groupe. Depuis la place passager, je fixe mon 28 mm sur mon Nikon. Au fil des virées à moto, je prends de la confiance. Dans les virages serrés, alors que les motos penchent, je me retourne, appareil en main et photographie le reste du groupe, sous les yeux des automobilistes me prenant pour un fou. Avec ces étendues sauvages les Etats Unis sont incontestablement l’un des plus beaux pays au monde, m’offrant un cadre magnifique pour mes photos. Clark est un bon motard et garde la moto stable, je récupère de bonnes images. Entre deux photos, je prends aussi le temps de profiter de l’instant. Ce n’est pas tous les jours que l’on passe une journée en Harley, le long de l’océan pacifique par 25 degrés, escorté par 15 motards en écoutant Creedence Clearwater Revival dans son casque…

Je photographie aussi les Cruisers dans leur vie quotidienne : lors de soirées à leur bar « le Loft”, pendant leurs visites aux autres bikers gays, comme les Satyrs de Los Angeles, durant leurs barbecues… S’habituant à ma présence, les membres se confient peu à peu. Certains ont décidé de quitter leurs Etats d’origine comme le Texas pour venir vivre pleinement leur homosexualité ici en Californie. D’autres ont dû quitter leur famille après leur coming out. 

Peu habitué aux us et coutumes de la communauté gay, je découvre alors un tout nouveau monde. Grâce à notre relation de confiance, mes photos s’améliorent. J’obtiens de meilleurs portraits, je capte des moments intimes, les Cruisers ne font plus attention à mon appareil photo.



Pour autant, tout n’est pas rose. Suite à une tempête de sable dans le désert de Jacumba à moto, le miroir de mon Nikon se bloque. Plus d’appareil pendant 2 semaines. J’emprunte alors le vieux Panasonic d’un ami et continue tant bien que mal de travailler. Lors d’une sortie dans les montagnes, des rafales à 80 km/h font tanguer la moto et je me vois déjà glisser sur le bitume (heureusement que mon pilote, Clark, sait faire preuve de sang froid). Les carnets de notes s’enchaînent, les cartes SD aussi. Je me demande comment je vais réussir à synthétiser tout cela et surtout, à qui proposer et vendre le sujet.

Finalement, Technikart et Garçons magazine se montrent intéressés. Le sujet est publié en mai et septembre 2017 pour le plus grand plaisir des Cruisers, fiers de voir leurs portraits dans la presse française. Lors de ma dernière soirée avec eux, ils m’offrent la casquette et le tee shirt du club qui trônent aujourd’hui fièrement à côté de mon lit à Paris.

 Le reportage “Durs et cuirs” complet à voir ici  : http://www.lucasbarioulet.com/durs-et-cuirs

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