Durs et cuir

« Certains gangs de bikers revendiquent leur territoire, y ont leur business et y font régner leur loi, souvent illégalement. Nous voulons être différents : nous n’avons jamais recours à la violence, notre objectif est de rider ensemble et d’aider chacun à assumer sa sexualité. »

Depuis 8 ans, ils parcourent les rues de San Diego sur leur Harley Davidson, blouson en cuir sur les épaules et musique country dans les oreilles. Au premier abord, les San Diego Cruisers ressemblent à n’importe quel club de motards de la ville, sauf qu’ils sont les derniers à assumer et revendiquer leur homosexualité. 

Au quotidien, les Cruisers doivent faire face à de nombreuses difficultés, à commencer par l’hostilité des autres gangs de bikers de la région. Conservateurs, revendiquant un territoire et des couleurs, certains d’entres eux voient d’un mauvais œil ces bikers gay. S’ajoute à cela l’homophobie de certains habitants de San Diego, l’une des ville les plus conservative de Californie. Enfin, depuis la campagne et l’élection de Donald Trump, ils ont été les témoins d’une recrudescence d' actes homophobes, découvrant leurs voitures peintes et étagées.

Malgré tous ces obstacles, les Cruisers continuent de prendre la route chaque semaine. Leur objectif est également d’aider la communauté LGBT de la ville en organisant des levées de fonds au Loft, leur bar. Tous ces motards sont venus chercher quelque chose de différent au sein du club. Certains ont fui des Etats plus homophobes, comme l’Illinois ou le Texas, tandis que d’autres sont venus chercher une seconde famille. Pour eux, le club permet de se retrouver et de se soutenir, dans une Amérique qu’ils considèrent de plus en plus divisée et hostile. J’ai ainsi décidé de les accompagner pendant plus de 4 mois afin de découvrir et comprendre à quoi ressemblait leur quotidien.

Le Loft

Pas même une place pour une voiture. En ce samedi soir de décembre, l’entrée du Loft, bar du centre de San Diego, est bloquée par une dizaine de Harley Davidson. A l’intérieur, l’ambiance est chaleureuse : la voix de Mick Jagger chantant Miss You se mêle aux éclats de rires et au son de la télévision où un match de baseball est retransmis. A première vue, une soirée on ne peut plus normale, à l’exception près que le bar est rempli d’une centaine d’hommes. Pas une seule femme à l’horizon.

Coup de fil

Comme chaque premier samedi du mois, c’est dans ce bar gay que les San Diego Cruisers se réunissent. Ils constituent le dernier club de motards gays de la ville. D’ailleurs, impossible de les manquer : blousons en cuir sur les épaules, Santiags mexicaines au pied et pantalons en cuir : l’uniforme est de rigueur. L’ambiance est amicale et détendue, jusqu’à ce que le téléphone de Stephen ( à droite ), grand californien d'un mètre 85 et leader du club, sonne. Il regarde le sms qu’il vient de recevoir. « C'est mauvais », dit-t-il. Â côté de lui, Clark jette un coup d’œil au message. « Tu penses qu’ils sont encore en lien avec les Hell’s Angels ? » s’inquiète-t-il. Autour d’eux, tous les autres membres du club se taisent.

Les goûts et les couleurs

Après un bref moment de réflexion, Stephen explique : « Il y a deux mois, un biker des Coffin Chasers, un gang local réputé pour saviolence, est passé lors d’une de nos soirées ». Ivre et fou de rage, le motarda commencé à menacer les San Diego Cruisers depuis l’extérieur du bar. « Il nesupportait pas que des “homos” portent les mêmes couleurs que lui, c’est à direle rouge et le noir ». Alors que la situation commençait à s’envenimer, Stephenet quelques autres membres ont écarté le motard du bar et l’ont persuadé defaire demi-tour. « Nous ne sommes pas violents, simplement lorsque nous sommestous ensemble, rares sont ceux qui nous insultent longtemps. Désormais, ilsveulent que l’on se rencontre pour parler de l’incident : on verra bien ce quipassera », conclut-t-il.

Un pays à l'ouest

Autour de lui, tous acquiescent. Il faut dire qu’en 7années d’existence, ce n’est pas la première fois que les Cruisers sont victimes d’actes homophobes. Avec une forte communauté militaire et de nombreuxsièges d’entreprises, San Diego est la ville la plus conservative de Californie, un Etat pourtant réputé pour son ouverture d’esprit. Qui plus est,la campagne et l’élection de Donald Trump n’ont fait qu’aggraver les choses.Selon Rob, membre des Cruisers et travaillant comme employé au centre d’aide LGBT d’Orange County au nord de San Diego : « Certains d’entres nous se fontmenacer ou encore découvrent au petit matin leurs voitures repeintes avec desinsultes. Avant, ces incidents étaient isolés, mais l'arrivée de Trump, c’est chaque semaine ». Il y a en août, de jeunes homophobes ont cassé la fenêtre deson bureau en lançant des pierres sur le bâtiment. « Oui, on a peur. Avec desdiscours comme ceux de Donald Trump diffusés à la télé, les gens se croienttout permis, que ce soit envers les mexicains, les personnes de couleurs ou leshomosexuels. C’est vraiment inquiétant », ajoute-t-il.

Le motard qui m'aimait

Pendant ce temps, à l’extérieur du bar, David et Evan s’embrassent langoureusement. Cela fait huit mois que ce motard et cet ingénieur sont en couple. « J’ai rencontré Evan grâce au club, lors d’un ride. Nous étions arrêtés à côté d’une station service et il est passé devant nous,il promenait son chien. Je ne pouvais pas le quitter des yeux », expliqueDavid, alias « Trooperbear ». Entre ses bras, Evan écoute sagement : « J’ai vu tous ces bikers sur le bord de la route, j’étais impressionné et intimidé. Puisj’ai vu David me sourire et venir me parler, j’étais aux anges ».

Wilcard

A quelques mètres de là, adossé à sa Harley Davidsonnoire, Matthew, alias « Wildcard », observe la scène en souriant. « Ils sontmignons, non ? » plaisante-t-il. Ancien parachutiste dans l’US Army en Caroline du Nord, il est le seul membre du club hétérosexuel. Aujourd’hui chargé de lasécurité du club, il explique son choix : « Après avoir quitté l’armée, jeridais seul, je m’ennuyais. Ma femme est l’ami d’un des Cruisers, elle m’aparlé du club, je les ai contactés et depuis je passe mon temps avec eux. J’aitrouvé ici une autre famille ». Matthew a choisi comme surnom « Wildcard », unterme utilisé aux Etats-Unis dans le milieu du sport, lorsqu’un joueur obtientune autorisation exceptionnelle pour participer à un match.

Ceux du nord

La semaine suivante, les Cruisers prennent la route,direction Long Beach, au sud de Los Angeles. Ils s’en vont rendre visite auxmembres des Satyrs ( à gauche ), l’historique club de motards gays de Los Angeles. « Ce sont de bon amis, sur qui on peut toujours compter lorsque l’onveut venir rider du côté de Los Angeles. Nous allons aux anniversaires des unset des autres, nous nous soutenons face aux difficultés, c’est important », confie Stephen ( à droite ).

Travail d'équipe

Ainsi, une fois montés sur leurs Harley, l’organisation est quasi militaire. A l’avant, c’est Clark qui mène le groupe. Depuis qu’ilest interdit aux motos de rouler côte à côte dans l’état de Californie, les cruisersadoptent la formation « staggered » (comprendre « quinconce »). Ils sepositionnent sur deux lignes, les uns derrière les autres, en laissant quelquesmètres d’espace entre eux pour prévenir tout accident. Les nouveaux membres etles conducteurs les moins expérimentés sont placés au milieu. A l’arrière,c’est Stephen, le leader, qui fait office de « sweep » (« balais ») en gardant un œil sur le groupe.

Les dangers de la route

Comme l'explique Mike ( à droite ) avant de monter sur samoto, les San Diego cruisers n’ont qu’une seule peur une fois sur la route :croiser ceux que l’on appelle dans le milieu des motards les « One Percenter ». Pour comprendre cette appellation, il faut remonter aux années 40. En 1947,suite à de violents affrontements lors d’un rassemblement de bikers à Hollister ( petite ville au sud de San Francisco ) la presse dénonce l’attitude marginaledes clubs de motards. Tentant tant bien que mal d’étouffer l’affaire,l’American Motorcycle Association affirme alors que 99% des motards sont desimples citoyens respectueux de la loi. Prenant le contre-pied de cettedéclaration, certains clubs se disent aujourd'hui être le 1% de bikers hors laloi.

"Ces mecs sont capables du pire"

Aujourd’hui en Californie, les « One Percenter » les plusredoutés sont les Hell’s Angels et les Mongols. Depuis des années, ces deuxgangs rivaux n’ont cessé de se faire la guerre. En septembre 2014, auxalentours de Los Angeles, des affrontements à l’arme à feu ont entrainé la mortd’un membre chez les Hells Angels et d’un autre chez les Mongols. « Quand tules rencontres sur la route, tu as peur, tu sais que ces mecs sont capables dupire », murmure Stephen « Ils sont très conservateurs, n’acceptent que deshommes et rejettent tout homosexuel ». Ainsi, pour leur virées, les cruiserschoisissent des routes touristiques et fréquentées, comme ici aux alentours duLac Henshaw.

Un mile de trop

Ce jour là, les Cruisers ne croiseront aucun d’entres eux. Pourtant, il y atrois mois, Rob ( deuxième à gauche ) a été moins chanceux. Alors qu’il roulaitseul aux alentours de Fresno, une petite ville rurale du centre de la Californie,un motard l’arrête et le fait se rabattre sur le côté de la route. « Il m’aregardé avec insistance, avant de me demander ce que je faisais là. Lorsque jelui ai répondu que j’étais en ballade, il m’a dit de ne plus revenir, à moinsd’avoir eu son autorisation », explique-t-il.

Levée de fonds

Une fois de retour à San Diego, le groupe décide de faire escale au Loft.Nous sommes dimanche soir et l’ambiance est bien moins festive que d’habitude.Mais les Cruisers ne sont pas là pour ça. En plus de leurs virées quotidiennesen moto, ils tentent de venir en aide à ceux mis de côté par la sociétéaméricaine, grâce à des levées de fonds. « Ce soir, nous vendons des vêtementset des shots d’alcool : tout l’argent récolté est destiné aux associations de laville qui aident les familles touchées par le Sida », explique William ( àgauche ), responsable des soirées caritatives.

Une famille 

Les Cruisers veillent les uns sur les autres. Rory ( à gauche ) en saitquelque chose. Ancien barbier, cela fait 3 mois qu’il ne peut plus travailler.Lors d’une virée avec le club, un 4×4 n’a pas respecté une priorité. En tentantde l’esquiver, Rory est tombé dans un fossé, fracturant sa jambe à troisendroits. Alors dans l’impossibilité de continuer son activité de barbier, ilne pouvait pas payer les frais médicaux. « Les gars ont été géniaux : ils ontorganisé une levée de fonds pour m’aider à payer l’hôpital et la rééducation.C’est grâce à eux que j’ai un espoir de remarcher, je ne l’oublierai jamais »,confie-t-il, ému.

Unis pour durer

Pour Stephen, c’est là que se trouvela raison d’être du club. « De nombreux clubs revendiquent leur territoire, yont leur business et font régner leur loi. Nous voulons être un nouveau genrede club de bikers, en aidant chacun à assumer sa sexualité ́».

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